Page:Flaubert - Par les champs et par les grèves.djvu/448

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et reportant les jeux sur cette chambre si calme, si paisible, je pensais à d’autres chambres où il y a des tapis, des velours, des rideaux de mousseline, etc. Je m’endormis enfin, m’amusant peu de mes réflexions et harassé de la course du jour et de mes exercices acrobatiques. Non, non, on ne dort pas mieux (de corps du moins) à Ghisoni que dans des lits de pourpre (style poétique, car je n’ai jamais couché que dans des draps blancs) ; cela veut dire que les puces m’ont tenu éveillé pendant trois heures, quelque invention que j’aie prise pour les fuir. J’avais éteint mon flambeau, et la lune avec tous ses rayons entrait dans ma chambre et m’éclairait comme en plein jour. Je me levai et je regardai la campagne, je voyais les chèvres marcher dans les sentiers du maquis et sur les collines ; çà et là les feux de bergers, j’entendais leurs chants ; il faisait si beau qu’on eût dit le jour, mais un jour tout étrange, un jour de lune. Étant arrivé de nuit dans le village, je n’avais pu voir le paysage où il se trouve placé, mais il m’était maintenant facile d’en saisir tous les accidents, tout aussi bien qu’en plein soleil. Entre les gorges des montagnes il y avait des vapeurs bleues et diaphanes qui montaient et qui semblaient se bercer à droite et à gauche, comme de grandes gazes d’une couleur indéfinissable qu’une brise aurait agitées sur le flanc de toutes ces collines. Leur grande silhouette se projetait en avant, de l’autre côté de la vallée ; la lumière s’étendait, claire et blanche, autour de la lune, et