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CORSE.

au haut de l’escalier qui donnait sur la rue, qu’on le fit entrer. Le capitaine nous fit signe et nous sortîmes comme pour aller nous coucher.

Le bandit se tenait au fond de ma chambre, le flambeau placé sur la table de nuit me le fit voir dès en entrant. C’était un grand jeune homme, bien vêtu et de bonne mine, sa main droite s’appuyait sur sa carabine. Il nous a salués avec une politesse réservée et nous nous sommes regardés quelque temps sans rien dire, embarrassés un peu de notre contenance. Il était beau, toute sa personne avait quelque chose de naïf et d’ardent, ses yeux noirs qui brillaient avec éclat étaient pleins de tendresse à voir des hommes qui lui tendaient la main ; sa peau était rosée et fraîche, sa barbe noire était bien peignée ; il avait quelque chose de nonchalant et de vif tout à la fois, plein de grâce et de coquetterie montagnarde. Il n’y a rien de bête comme de représenter les scélérats l’œil hagard, déguenillés, bourrelés de remords. Celui-là, au contraire, avait le sourire sur les lèvres, des dents blanches, les mains propres ; on eut plutôt dit qu’il venait de sortir de son lit que du maquis. Il y a pourtant trois ans qu’il y vit, trois ans qu’il n’a été reçu sous un toit, qu’il couche l’hiver dans la neige et que les voltigeurs et les gendarmes lui font la chasse comme à une bête fauve. Brave et grand cœur qui palpite seul et librement dans les bois, sans avoir besoin de vous pour vivre, plus pur et plus haut placé, sans doute, que la plupart des honnêtes gens de France, à commencer par