Page:Flaubert - Par les champs et par les grèves.djvu/459

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manière de défricher adoptée dans toute la Corse, mais tous les efforts, la plupart du temps, n’ont pas été au delà et les jeunes pousses reparaissent entre les arbustes calcinés. De temps à autre un grand chêne-liège décharné élève son branchage clairsemé sans donner d’ombrage ; ailleurs, nous allons dans des sentiers à travers de hautes fougères, et chacun voit la tête de celui qui le précède passer rapidement, en mille détours, le long de leur tige. Les voltigeurs nous ont accompagnés jusqu’à la rivière, et nous avons continué seuls notre route. Le pays est désert, vide d’habitants ; ceux qu’on rencontre dans tout le Fiumorbo sont jaunes de fièvre, vêtus de haillons et ont l’air triste. La misère dans le Nord n’a rien de bien choquant, le ciel est gris ; toute la nature est lugubre ; mais ici, quand le soleil répand tant de splendeur et de vie rayonnante, les couleurs sombres sont bien sombres, les têtes pâles sont plus pâles, sous ce beau ciel si bleu et si uni les guenilles sont bien plus déchirées.

Nous avons un peu quitté la plaine et repris à gauche en longeant le pied des mêmes montagnes que nous dominions la veille. J’aime à me redire tous ces détails. Il me semble que nous tournons encore dans les chemins du maquis, que j’arrache encore en passant les fruits rouges de l’arbousier et les petites fleurs blanches des myrtes ; nous allons sous des berceaux de verdure, de temps en temps nous nous perdons de vue, tout est vert et frais, et quand on se retrouve dans la plaine, marchant