Page:Flaubert - Par les champs et par les grèves.djvu/67

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goisse et d’amour. D’adorables mains blanches ont frémi de peur sur cette pierre que recouvrent maintenant les orties, et les barbes brodées des grands hennins ont tressailli dans ce vent qui remue les bouts de ma cravate et qui courbait le panache des gentilshommes.

Nous sommes descendus dans le souterrain où fut enfermé Jean V. Dans la prison des hommes nous avons vu encore au plafond le grand crochet double qui servait à pendre ; et nous avons touché avec des doigts curieux la porte de la prison des femmes. Elle est épaisse de quatre pouces environ, serrée avec des vis, cerclée, plaquée et comme capitonnée de fers. Par le petit guichet grillé pratiqué au milieu on jetait dans la fosse ce qu’il fallait pour que la condamnée ne mourût point, car la porte, bouche discrète des plus terribles confidences, était de celles qui se ferment et ne s’ouvrent pas. Quel bon temps pour la haine ! Quand on haïssait quelqu’un, quand on l’avait enlevé dans une surprise, ou pris en trahison dans une entrevue, mais quand on l’avait enfin, qu’on le tenait, on pouvait à son aise le sentir mourir d’heure en heure, de minute en minute, compter ses angoisses, boire ses larmes. On descendait dans son cachot, on lui parlait, on marchandait son supplice pour rire de ses tortures, on débattait sa rançon ; on vivait sur lui, de lui, de sa vie qui s’éteignait, de son or qu’on lui prenait. Toute votre demeure, depuis le sommet des tours jusqu’au pied des douves, pesait