Page:Flaubert - Par les champs et par les grèves.djvu/73

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craquer… n’importe ! Il s’en retourne, écrit son nom sur l’album du concierge, tire sa pièce de 20 sols et part heureux : il a eu des émotions, il a eu des souvenirs.

Pourquoi donc a-t-on fait de cette figure d’Héloïse, qui était une si noble et si haute figure, quelque chose de banal et de niais, le type fade de tous les amours contrariés et comme l’idéal étroit de la fillette sentimentale ? Elle méritait mieux pourtant, cette pauvre maîtresse du grand Abélard, celle qui l’aima d’une admiration si dévouée, quoiqu’il fût dur, quoiqu’il fût sombre et qu’il ne lui épargnât ni les amertumes ni les coups. Elle craignait « de l’offenser plus que Dieu même, et désirait lui plaire plus qu’à lui ». Elle ne voulait pas qu’il l’épousât, trouvant que « c’était chose messéante et déplorable que celui que la nature avait créé pour tous… une femme se l’appropriât et le prit pour elle seule… », sentant, disait-elle « plus de douceur à ce nom de maîtresse et de concubine qu’à celui d’épouse, qu’à celui d’impératrice », et, s’humiliant en lui, espérant gagner davantage dans son cœur.

Ô créatures sensibles, ô pécores romantiques qui, le dimanche, couvrez d’immortelles son mausolée coquet, on ne vous demande pas d’étudier la théologie, le grec ni l’hébreu dont elle tenait école, mais tâchez de gonfler vos petits cœurs et d’élargir vos courts esprits pour admirer dans son intelligence et dans son sacrifice tout cet immense amour.