Page:Flaubert - Par les champs et par les grèves.djvu/94

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faire que l’on soit employé dans un bureau, comment on se lève avant dix heures et on se couche avant minuit, et je me demande sérieusement s’il est possible qu’il y ait des êtres sur la terre s’occupant à autre chose qu’à aligner des phrases et à chercher des adjectifs.

Il serait trop absurde, étant à Carnac, de ne pas aller voir les fameuses pierres de Carnac ; aussi nous reprîmes nos bâtons et nous nous dirigeâmes vers le lieu où elles gisent. Nous allions dans l’herbe, tête baissée et devisant sur je ne sais quoi, quand un frôlement nous a fait lever les yeux et nous avons vu une femme s’avancer par le sentier qui descendait, nu-pieds, nu-jambes, sans fichu, son grand bonnet remuant, sa jupe claquant au vent, une main sur la hanche et de l’autre retenant une énorme gerbe de foin qu’elle portait sur la tête ; elle marchait avec des torsions de taille, hardie et belle, dans son corsage rouge. Elle a passé près de nous. Son souffle était large et fort et la sueur coulait en filets sur la peau brune de ses bras ronds.

Bientôt, enfin, nous aperçûmes dans la campagne des rangées de pierres noires[1], alignées à intervalles égaux, sur onze files parallèles qui vont diminuant de grandeur à mesure qu’elles s’éloignent de la mer ; les plus hautes ont vingt pieds environ et les plus petites ne sont que de simples

  1. Flaubert a utilisé ce texte pour en faire un article spécial : « Les Pierres de Carnac et l’archéologie celtique » qui parut dans l’Artiste, en 1858.