Page:Flaubert - Par les champs et par les grèves.djvu/96

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poursuivi par des soldats qui le voulaient tuer, était à bout d’haleine et allait tomber dans la mer, quand il lui vint l’idée, pour les empêcher de l’attraper, de les changer tous en autant de pierres. Aussitôt, les soldats furent pétrifiés, ce qui sauva le saint. Mais cette explication n’était bonne tout au plus que pour les niais, les petits enfants et pour les poètes, on en chercha d’autres.

Au xvie siècle, le sieur Olaüs Magnus, archevêque d’Upsal (et qui, exilé à Rome, s’amusa à écrire, sur les antiquités de son pays, un livre estimé partout, si ce n’est dans ce même pays, la Suède, où personne ne le traduisit), avait découvert de lui-même que lorsque les pierres sont plantées sur une seule et longue ligne droite, cela veut dire qu’il y a dessous des guerriers morts en se battant en duel ; que celles qui sont disposées en carré sont consacrées à ceux qui périrent dans une mêlée ; que celles qui sont rangées circulairement sont des sépultures de famille, et enfin que celles qui sont disposées en coin ou sur un ordre angulaire sont les tombeaux des cavaliers ou même des gens de pied, surtout ceux dont le parti avait triomphé. Voilà qui est clair, explicite, satisfaisant. Mais Olaüs Magnus aurait bien dû nous dire quelle était la sépulture que l’on donnait à deux cousins germains ayant fait coup double dans un duel à cheval. Le duel, de lui-même, voulait que les pierres fussent droites, la sépulture de famille exigeait qu’elles fussent circulaires, mais comme c’étaient des cavaliers, il fallait bien les disposer