Page:Flaubert - Théâtre éd. Conard.djvu/101

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Tout le monde est assis. Le Président ouvre la séance, et quelqu’un prend la parole. Il m’interpelle pour me demander… par exemple… Mais d’abord qui m’interpelle ? Où est l’individu ? À ma droite, je suppose ! Alors, je tourne la tête, brusquement !… Il doit être moins loin ? (Il va déranger une chaise, puis remonte.) Je conserve mon air tranquille, et tout en enfonçant la main dans mon gilet… Si j’avais pris mon habit ? C’est plus commode pour le bras ! Une redingote vaut mieux, à cause de la simplicité. Cependant, le peuple, on a beau dire, aime la tenue, le luxe. Voyons ma cravate ? (Il se regarde dans une petite glace à main, qu’il retire de sa poche.) Le col un peu plus bas. Pas trop cependant ; on ressemble à un chanteur de romances. Oh ! ça ira — avec un mot de Murel, de temps à autre, pour me soutenir ! C’est égal ! Voilà une peur qui m’empoigne… et j’éprouve à l’épigastre… (Il boit.) Ce n’est rien ! Tous les grands orateurs ont cela à leurs débuts ! Allons, pas de faiblesses, ventrebleu ! un homme en vaut un autre, et j’en vaux plusieurs ! Il me monte à la tête… comme des bouillons ! et je me sens, ma parole, un toupet infernal !

« Et c’est à moi que ceci s’adresse, monsieur ! » Celui-là est en face ; marquons-le ! (Il dérange une chaise et la pose au milieu.) « À moi que ceci s’adresse, à moi ! » Avec les deux mains sur la poitrine, en me baissant un peu. « À moi, qui, pendant quarante ans… à moi, dont le patriotisme… à moi que… à moi pour lequel… » puis, tout à coup : « Ah ! vous ne le croyez pas vous-même, monsieur ! » Et on reste sans bouger ! Il réplique : « Vos preuves alors ! donnez vos preuves ! Ah ! prenez garde ! On ne se joue pas de la crédulité publique ! » Il ne trouve rien. « Vous vous taisez ! ce silence vous condamne ! J’en prends acte ! » Un peu d’ironie, maintenant ! On lui lance quelque chose de caustique, avec un rire de supériorité. « Ah ! ah ! » Essayons le rire de supériorité. « Ah ! ah ! ah ! je