Page:Flaubert - Théâtre éd. Conard.djvu/102

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m’avoue vaincu, effectivement ! Parfait ! » Mais deux autres qui sont là ! — je les reconnaîtrai, — s’écrient que je m’insurge contre nos institutions, ou n’importe quoi. Alors d’un ton furieux : « Mais vous niez le progrès ! » Développement du mot progrès : « Depuis l’astronome avec son télescope qui, pour le hardi nautonnier… jusqu’au modeste villageois baignant de ses sueurs… le prolétaire de nos villes… l’artiste dont l’inspiration… » Et je continue jusqu’à une phrase, où je trouve le moyen d’introduire le mot « bourgeoisie ». Tout de suite : éloge de la bourgeoisie, le tiers État, les cahiers, 89, notre commerce, richesse nationale, développement du bien-être par l’ascension progressive des classes moyennes. Mais un ouvrier : « Eh bien ! et le peuple, qu’en faites-vous ? » Je pars : « Ah ! le peuple, il est grand » ; et je le flagorne, je lui en fourre par-dessus les oreilles ! J’exalte Jean-Jacques Rousseau qui avait été domestique, Jacquard tisserand, Marceau tailleur ; tous les tisserands, tous les domestiques et tous les tailleurs sont flattés. Et, après que j’ai tonné contre la corruption des riches, « Que lui reproche-t-on, au peuple ? c’est d’être pauvre ! » Tableau enragé de sa misère ; bravos ! « Ah ! pour qui connaît ses vertus, combien est douce la mission de celui qui peut devenir son mandataire ! Et ce sera toujours avec un noble orgueil que je sentirai dans ma main la main calleuse de l’ouvrier ! parce que son étreinte, pour être un peu rude, n’en est que plus sympathique ! parce que toutes les différences de rang, de titre et de fortune sont, Dieu merci ! surannées, et que rien n’est comparable à l’affection d’un homme de cœur !… » Et je me tape sur le cœur ! bravo ! bravo ! bravo !

Un garçon de café.

M. Rousselin, ils arrivent !