Page:Flaubert - Théâtre éd. Conard.djvu/231

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première rougeur de honte et dans l’intégrité de mon orgueil, comme ces vieux rois d’Orient qui se faisaient mourir avec toutes leurs richesses !… Il ne faut que la résolution d’une minute. Ce ne doit pas être difficile ? D’ailleurs, tout m’y engage, tout m’y pousse…

Apercevant la boîte de pistolets ouverte.

Ah !… et jusqu’au hasard lui-même !

Il retire les pistolets et les manie.

L’armurier qui me les a vendus me faisait valoir, pour ma sécurité personnelle, la longueur de leur portée. À cette distance, je n’ai pas besoin qu’ils soient si merveilleux ! C’est une superfluité. Essayons.

Il fait jouer la batterie.

Bien !… Ma poudrière, où est-elle ?

Il verse de la poudre dans le fond de sa main, puis dans le pistolet, et jette le reste dans la cheminée. Le feu se ranime, et flambe extraordinairement. Paul continue à charger son pistolet.

La balle, une capsule, maintenant ; et je n’ai plus qu’un geste, presque un signe pour être libre !…

Six heures sonnent à une horloge voisine.

Au premier coup de la demie, tout sera dit !

Il promène ses yeux tout à l’entour,
et aperçoit la table où sont des papiers et une cassette pleine de lettres.

Ah ! ceci que j’oubliais ! Non ! que rien de moi, ni de mon passé, ne subsiste ! Au feu, au feu, toutes mes lettres !

Il les jette dans la cheminée. Il se rassoit.

Ah ! que cette flamme me réchauffe ! Je ne souffre plus. Non, au contraire ! Et penser que ces cendres peut-être seront encore tièdes quand mon cadavre sera froid ! et puis tout se confondra, dispersé ! Ma vie aura passé comme ces formes fugaces, qui se dessinent sur les charbons. Tiens ! il me semble voir dans la braise des plages de pourpre s’étalant près d’un lac de feu. On dirait, à présent, de vagues édifices, des aiguilles de cathédrale, un navire. Il s’enfonce et repa-