Page:Flaubert - Théâtre éd. Conard.djvu/288

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démesuré qu’il l’éblouisse ! Je demande des palais de basalte avec des escaliers de diamant, et à le faire asseoir auprès de moi sur un trône d’or, pour qu’il contemple de plus haut toutes les têtes de mes peuples esclaves prosternés dans la poussière !

Le Roi.

Bien ! bien ! Mais pas si fort, ma princesse, de peur de réveiller ces honnêtes populations.

Il tire de sa poche un bonnet de coton démesuré, se l’enfonce sur le chef et relève ses lunettes bleues. Son visage est effroyable, avec des dents jaunes, des yeux cernés jusqu’aux oreilles, tandis que son collier de barbe rouge, se développant sur les deux côtés, ressemble à deux gros plumets. La mèche de son bonnet de coton flamboie. Il disparaît avec Jeanne.


Scène IX.

Aussitôt le pot-au-feu, dont les anses se transforment en deux ailes, monte dans les airs et, arrivé en haut, il se retourne entièrement. Tandis que les flancs du pot-au-feu vont s’élargissant toujours, de manière à couvrir la cité endormie, des légumes lumineux, carottes, navets, poireaux, s’échappent de sa cavité et restent suspendus à la voûte noire comme des constellations.

Dès que l’obscurité est complète, on entend s’élever dans toutes les maisons un ronflement général.

Mais il se fait un bruit sec comme d’un barreau qu’on brise ; puis de la prison sortent deux ombres humaines, frôlant les murs et marchant sur la pointe des pieds. Paul apparaît d’abord, ensuite Dominique avec le tromblon et la redingote à la propriétaire, et portant sous ses bras ses deux bottes pour ne point faire de bruit. Il contemple un instant avec effroi les constellations-légumes.

Le ronflement général repart.

La toile tombe lentement.