Page:Flaubert - Théâtre éd. Conard.djvu/315

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Aïe ! N’importe ! Je passerai… Quand je vous dis que je passerai !

Il empoigne vigoureusement un arbre de chaque main, et il les écarte d’un seul mouvement. Aussitôt toute la forêt se divise devant lui, comme une toile que l’on déchire, et forme une belle allée de verdure, avec deux rangs d’arbres symétriques.

Au fond, et détaché en noir sur le ciel rose que fait le soleil couchant se dresse le château des Cœurs, tel qu’il a été vu dans la mansarde ; ses trois tourelles sont reliées par des courtines percées de petites ouvertures d’où s’échappe une lumière rouge.

Dominique reste longtemps immobile et muet de surprise.

Un château ! Le château des Cœurs ! C’est donc vrai ! Le voilà exactement comme d’après ses paroles. Eh non ! je rêve ! Impossible.

Il se palpe.

Cependant… je ne dors pas !… Ce toit noir, ces lumières rouges, on dirait un monstre qui vous regarde. Voyons ! voyons ! calmons-nous ! Pas de raison d’avoir peur ! au contraire c’est une fière chance ! Je l’ai découvert le premier tout de même ! Quelle joie ce sera pour Monsieur !

Mais… puisque je suis le premier ici… c’est à moi que revient la gloire ! Et pourquoi pas ?

Il est pris d’un rire frénétique.

La récompense, la dame, la belle femme ! La maison paraît seigneuriale, et les terres à l’entour vous composent un domaine… la forêt en dépend sans doute ? Comme je vais la couper rasibus ! C’est par là que je commence ! Quel abatis feront mes gens ! car j’ai des gens.

Il se promène de droite et de gauche, enthousiasmé.

Je ne suis plus domestique ! Allons donc ! Ah ! mais oui ! une valetaille de Sardanapale ! une livrée rouge et or, avec des bas tirés, sapristi ! des plumets au chapeau, des boutons larges comme des assiettes, et dans le vestibule, au bas de l’escalier, toutes sortes de jeux