Page:Fontenelle - Entretiens sur la pluralité des mondes, Leroy, 1820.djvu/54

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cause. Ah ! vraiment, répondis-je, il y a bien des peuples qui, de la manière dont ils s’y prennent, ne la devineront encore de longtemps. Dans toutes les Indes Orientales, on croit que quand le soleil et la lune s’éclipsent, c’est qu’un certain dragon qui a les griffes fort noires, les étend sur ces astres dont il veut se saisir ; et vous voyez pendant ce temps-là les rivières couvertes de têtes d’Indiens qui se sont mis dans l’eau jusqu’au col, parce que c’est une situation très dévote selon eux, et très propre à obtenir du soleil et de la lune qu’ils se défendent bien contre le dragon. En Amérique, on étoit persuadé que le soleil et la lune étoient fâchés quand ils s’éclipsaient, et Dieu sait ce qu’on ne faisoit pas pour se raccommoder avec eux. Mais les Grecs, qui étoient si raffinés, n’ont-ils pas cru longtemps que la Lune étoit ensorcelée, et que des magiciennes la faisoient descendre du ciel pour jeter sur les herbes une certaine écume malfaisante ? Et nous, n’eûmes-nous pas belle peur il n’y a que trente-deux ans[1], à une certaine éclipse de soleil, qui à la vérité fut totale ? Une infinité de gens ne se tinrent-ils pas enfermés dans des caves, et les philosophes qui écrivent pour nous rassurer n’écrivirent-ils pas en vain ou à-peu-près ? Ceux

  1. En 1654.