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Les colons étonnés retinrent leur haleine…
C’était comme un sanglot d’enfant ; et, stupéfait,
Quelques instants plus tard, on trouvait en effet,
Dans le creux d’un sillon, la face contractée,
Perdu sous un amas de paille ensanglantée,
Un enfant de six mois suffoquant à demi.
Sans doute que la mère avait de l’ennemi
Par cet ingénieux moyen trompé la rage,
Et, dévoûment sublime ! avait eu le courage
De marcher à la mort d’un cœur déterminé,
Sans trahir d’un regard le pauvre abandonné !

Or ce pauvre orphelin, ce pauvre petit être,
Dit le vieux, plus ému qu’il ne voulait paraître,
Voici le vêtement qu’il portait ce jour —là ;
Et, si je le conserve avec respect, cela
Ne surprendra bien fort personne ici, j’espère,
Car cet enfant… c’était mon arrière-grand-père.[1]

  1. L’épisode qui fait le sujet de cette pièce n’est pas strictement historique. Mais les faits analogues étaient d’occurrence journalière dans les premiers temps de la colonie. Le terrible souvenir s’en est perpétué jusqu’à nos jours parmi la population canadienne. On n’y parle jamais de Croquemitaine aux enfants récalcitrants ; on dit : Les sauvages vont venir !