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Je parcours en esprit tes vastes solitudes ;
Je toise de tes monts les fières altitudes ;
Je me penche au-dessus de tes grands lacs sans fond ;
Je mesure les flots du rapide profond ;
Et, devant ce spectacle, impondérable atome,
De ces jours sans soleil j’évoque le fantôme.

Tout change à mes regards ; le présent disparaît ;
Nos villes à leur tour font place à la forêt ;
Tout retombe en oubli, tout redevient sauvage ;
Nul pas civilisé ne foule le rivage
Du grand fleuve qui roule, énorme et gracieux,
Sa vague immaculée à la clarté des cieux !
De ton tiède Midi jusqu’aux glaces du pôle,
Tes hauts pics n’ont encor porté sur leur épaule,
Ô Canada, connu du seul oiseau de l’air,
Que l’ombre de la nue et le choc de l’éclair !
Tout dort enveloppé d’un mystère farouche.
Seul, parfois, quelque masque à l’œil tragique et louche.
Effaré, menaçant comme un fauve aux abois,
Apparaît tout à coup dans la nuit fies grands bois !…
Je m’arrête ! Et devant cette nature immense,