Page:Franck - Dictionnaire des sciences philosophiques, 1875.djvu/38

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phe, deux hommes très-distincts l’un de l’autre : l’adepte enthousiaste, auteur de la Philosophie occulte, et le sceptique désenchanté de la vie, mais toujours plein de hardiesse et de vigueur, qui a écrit sur l’Incertitude et la vanité des sciences. Nous allons essayer de donner une idée de ces deux ouvrages, auxquels se rattachent plus ou moins directement tous les autres écrits d’Agrippa.

Le but de la Philosophie occulteest de faire de la magie une science, le résumé ou le com­plément de toutes les autres, et de la justifier en même temps, en la rattachant à la théologie, du reproche d’impiété si fréquemment articulé contre elle. En effet, selon Agrippa, toutes nos connaissances supérieures dérivent de deux sour­ces : la nature et la révélation. C’est la nature, ou plutôt son esprit, qui a initié les hommes aux secrets de la kabbale et de la philosophie hermé­tique, inventées l’une et l’autre au temps des patriarches. La révélation nous a donné, l’Ancien et le Nouveau Testament, la Loi et l’Évangile. Mais la parole révélée présente un double sens : un sens naturel, accessible à toutes les intelli­gences, et un sens caché que Dieu réserve seu­lement à ses élus. Ce dernier, sur lequel se fonde aussi la kabbale, est regardé par Agrippa comme une troisième source de connaissances (de Triplici ratione cognoscendi Deum). Eh bien, telle est l’étendue et l’importance de la magie, qu’elle s’appuie à la fois sur la nature, sur la révélation et sur le sens mystique de l’Écriture sainte. Elle nous fait connaître, a com­mencer par les éléments, les propriétés de tous les êtres, et les rapports qui les unissent entre eux. En nous donnant le secret de la composi­tion de l’univers, elle nous livre en même temps toutes les forces qui l’animent et le pouvoir d’en disposer pour notre propre usage ; enfin elle nous élève au dernier terme de toute science et de toute perfection, à la connaissance de Dieu, tel qu’il existe pour lui-même, tel qu’il existé en sa propre essence, sans voile et sans figure. Mais cette connaissance sublime, à laquelle on ne parvient qu’en se détachant entièrement de la nature et des sens, qu’en « e transformant, à proprement parler, en celui qui en est l’objet, Agrippa fait l’aveu de n’y avoir jamais pu attein­dre, enchaîné qu’il était à ce monde par une famille, par des soucis, par diverses professions, dont l’une consistait à verser le sang humain (de occulta Phil. append., p. 348). Aussi ne veut-il pas que l’on regarde son livre comme une exposition méthodique et complète de la science surnaturelle, mais comme une simple intro­duction à une œuvre de ce genre, ou plutôt comme un recueil de matériaux assemblés sans ordre, dont l’usage cependant ne sera point perdu pour les adeptes (Prœf. et Conclus., p. 346).

Tels sont à peu près le caractère général et le but de la magie. Voici maintenant comment elle est divisée. L’univers se compose de trois sphè­res principales, de trois mondes parfaitement sub­ordonnés l’un à l’autre, et communiquant entre eux par une action et une réaction incessantes.

Ces trois mondes sont représentés par les élé­ments, les astres et les pures intelligences. Ils s’appellent le monde élémentaire ou physique, le monde céleste et le monde intelligible. Il faut, en conséquence, que la magie se partage en trois grandes parties. La magie naturelle a pour objet l’étude et la domination des éléments ; la magie céleste ou mathématique a les yeux fixés sur les astres, dont elle découvre les lois, la puissance, et auxquels elle arrache le secret de l’avenir ; enfin le monde des intelligences et des purs esprits est le domaine de la magie reli­gieuse ou cérémoniale, ou plutôt de la théurgie. Rien n’est plus grand ni d’un effet plus poétique que la maniéré dont Agrippa se représente l’univers dans son ensemble, et que le rôle qu’il fait jouer à l’homme par la science. Il suppose que tous les êtres répartis entre les trois mondes dont nous venons de parler forment une chaîne non interrompue, destinée à nous transmettre les vertus émanées du premier être, cause et archétype de l’univers ; car c’est pour nous, ex­clusivement pour nous, que l’œuvre des six jours a été accomplie. Mais cette chaîne par laquelle Dieu descend en quelque façon jusqu’à nous est aussi le chemin qui doit conduire l’homme jus­qu’à Dieu. Arrivé à cette hauteur, identifié par l’intelligence avec la source de toute puissance et de toute vertu, il n’est plus dans la nécessité de recevoir les grâces d’en haut par le canal des autres créatures ; il peut lui-même modifier ces créatures à son gré, et les douer de propriétés nouvelles (de occulta Phil., lib. II, c. i). Il n’y a pas lieu de suivre Agrippa dans ses rêveries astrologiques, ni dans sa classification des anges et des démons ; toute cette partie de son travail n’est d’ailleurs qu’une répétition des livres her­métiques et de la kabbale, considérée dans ses plus grossiers éléments. Il suffira de signaler ce qu’il y a de plus original dans sa théorie de la nature

Parmi les éléments qui ont servi à la compo­sition de ce monde, il n’y en a pas de plus pur que le feu. Mais il existe deux espèces de feu, le feu terrestre et le feu céleste. Le premier n’est qu’une image, une pâle copie du second, qui anime et qui vivifie toutes choses. Après le feu vient l’air, que l’on compare à un miroir di­vin ; car tout ce qui existe y imprime son image, que l’élément fidèle lui renvoie. Et comme l’air, par sa subtilité, pénètre à travers notre corps jusqu’au siège dé l’âme, ou du moins de l’imagi­nation, il nous apporte ainsi les visions, les son­ges, la connaissance de ce qui se passe dans les lieux et chez les personnes les plus éloignées de nous (de occulta Phil. ; lib. II, c. vi). La nature et la combinaison des éléments nous expliquent les propriétés de chaque objet de ce monde, même nos propres passions, qui, selon Agrippa, n’ap­partiennent pas à l’âme. Seulement il faut dis­tinguer deux classes de propriétés : les unes na­turelles, sensibles, auxquelles s’applique par­faitement le principe que nous venons d’é­noncer ; les autres sont les qualités occultes dont nulle intelligence humaine ne peut décou­vrir la cause : telle est, par exemple, la vertu qu’ont certaines substances de combattre les poi­sons et la puissance d’attraction exercée par l’ai­mant sur le fer. Agrippa ne doute pas que les propriétés de cet ordre ne soient une émanation de Dieu transmise à la terre par l’âme du monde, moyennant la coopération des esprits cé­lestes et sous l’influence des astres.

Le rapport de l’esprit et de la matière est un des problèmes qui ont le plus vivement préoc­cupé notre philosophe, et voici comment il a essayé de le résoudre. L’esprit, qui se meut par lui-même, dont le mouvement est l’essence, ne peut rencontrer le corps, naturellement inerte, que dans un milieu commun ; dans un élément intermédiaire comme le médiateur plastique, les esprits animaux ou le fluide magnétique inven­tés plus tard. C’est à la même condition que l’âme du monde, qu’il ne faut pas confondre avec Dieu, peut entrer en relation avec l’univers matériel et pénétrer de sa divine puissance jus­qu’au moindre atome de la matière. Or, cette substance intermédiaire et invisible comme l’es­prit, ce fluide éthéré dont les êtres sont plus ou