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Bibliothèque des frères Prêcheurs de Quétif et Echard, et dans cette vaste nomenclature, la théo­logie, la philosophie, l’histoire naturelle, la phy­sique, l’astronomie, l’alchimie, toutes les bran­ches des connaissancps humaines sont également représentées. Emerveillés de son étonnant savoir, ses contemporains le regardèrent comme un ma­gicien, opinion qui fut longtemps accréditée, et

Sue lé savant Naudé n’a pas dédaigné de com— attre (Apologie pour les grands hommes fausse­ment soupçonnés de magic, in-8, Paris, 1625). Il est douteux, quoi qu’on en ait dit, qu’il ait su l’arabe et le grec, car il défigure la plupart des mots appartenant à ces deux langues ; mais tous les principaux monuments de la philosophie orien­tale et de la philosophie péripatéticienne lui étaient familiers, comme le prouvent ses commentaires sur Aristote, sur Denys l’Aréopagite, et ses fré­quentes citations d’Avicenne, d’Averrhoès, d’Al— gazel, d’Alfarabi, de Tofail, etc. On s’est quelque­fois demandé s’il n’aurait pas eu entre les mains des ouvrages qui, depuis, se seraient égarés ; dans une curieuse dissertation insérée dans les Mé­moires de la Société royale de Goëttingue (de Fontibus unde Albertus Magnus libris suis xxv de Animalibus materien hauserit commentatio, Ap. Comment. Soc. Reg. Gotting., t. XII, p. 94), Buhle s’était prononcé pour l’affirmative ; cepen­dant des recherches ultérieures n’ont pas confirmé ce résultat, et il demeure aujourd’hui constant que, dans son Histoire des Animaux, par exem­ple, Albert n’a employé aucun traite important dont nous ayons à regretter aujourd’hui la perte (Rech. sur l’âge et l’orig. des trad. latines d’A­ristote, par Am. Jourdain, in-8, Paris, 1843, p. 325 et suiv.).

Si l’originalité chez Albert égalait l’érudition, l’histoire des sciences offrirait peu de noms su­périeurs au sien. Mais l’étude de ses ouvrages prouve qu’il avait plus de patience que de génie, plus de savoir que d’invention. Fruit d’une im­mense lecture, les citations s’y accumulent un peu au hasard ; les questions, péniblement débattues, y sont presque toujours tranchées par le poids des autorités ; rarement on y remarque l’empreinte d’un esprit vigoureux qui s’approprie les opinions même dont il n’est pas le premier auteur, et la critique n’v peut recueillir, au lieu d’un système fortement lie, que des vues éparses, dont voici les plus importantes.

A l’exemple de la plupart des docteurs scolas— tiques de cet âge, Albert, tout en proclamant la suprématie et les droits de la théologie, reconnaît à la raison le pouvoir de s’élever par elle-même à la vérité. La philosophie, suivant lui, peut donc être regardée comme une science à part, ou. pour mieux dire, comme la réunion de toutes les connaissances dues au libre travail de la pensée.

  • La logique, qui en est la première partie, est l’étude des procédés qui conduisent l’esprit du connu à l’inconnu. Elle a pour objet, non le syl­logisme, qui n’est qu’une forme particulière de raisonnement, mais la démonstration et indirec­tement le langage, instrument de la définition. Ici se présentait la célèbre question des univer— saux qu’un siècle et plus de débats n’avait point encore assoupie. Albert résume longuement la polémique des écoles opposées, et, comme on pou­vait s’y attendre, il se prononce en faveur du réa­lisme, principalement sur ce motif, que c’est l’opinion la plus conforme aux doctrines péripaté­ticiennes, mesure suprême du vrai et du faux. — En métaphysique, Albert néglige le point de vue de la cause, indiqué par quelques philosophes arabes, pour s’attacher à celui de l’être en soi, dont il examine les déterminations d’après les catégories, et suivant une méthode de distinc­tions subtiles, quelquefois puériles. Il esi ainsi conduit à analyser les idées de matière, de forme, d’accident, d’éternité, de durée, de temps, à re­chercher si, dans les objets sensibles, la matière et la forme sont séparables l’une de l’autre, à dis­tinguer dans la matière la substance qui est par­tout la même et une aptitude variable à recevoir différentes formes, etc. — La psychologie est peut-être celle des parties de la philosophie où il tempère le mieux les abus de la dialectique par la connaissance des faits. Il ne sépare pas l’étude de l’âme de l’étude générale de la nature, mais il considère l’âme tout à la fois comme la forme du corps, idée empruntée au péripatétisme, et comme une substance distincte et indépendante des organes, capable, même lorsqu’elle en est sé­parée, de se mouvoir d’un lieu dans un autre, lait dont il assure avoir reconnu la vérité dans des opérations magiques, cujus etiam veritatem nos ipsi experti sumus in magicis (Opp., t. III, p. 23). L’âme possède plusieurs facultés, la force végétative, la faculté de sentir, celle de se mou­voir et l’entendement, facultés qu’elle renferme toutes dans l’unité puissante de son être ; de là la dénomination de tout virtuel, totum potestati­vum, que lui donne Albert. Les sens sont un pou­voir purement organique, auquel se rattachent des pouvoirs secondaires, comme le sens commun, l’imagination, le jugement, qui occupent autant de cellules distinctes dans le cerveau. L’entende­ment, source des notions mathématiques et de la connaissance des choses divines, est actif ou pas­sif. L’entendement passif est une simple possibi­lité, variable cependant suivant les individus. L’en­tendement actif sépare les formes intelligibles en les rendant fixes et universelles, et féconde l’en­tendement passif. Il ne se confond pas avec l’âme, mais il s’unit à elle, comme une émanation et une image de l’intelligence suprême (Opp., t. III, p. 152, 153). L’âme ; ainsi éclairée, peut survivre au corps. — En theodicée, Albert s’attache à dé­terminer les bases, l’étendue et la certitude de notre connaissance rationnelle de Dieu. Il en ex­clut les dogmes positifs, et spécialement celui de la Trinité, l’âme ne pouvant connaître les vérités dont elle n’a pas l’image et le principe en elle— même -j mais il pense que l’existence de Dieu peut être demontrée de plusieurs manières, entre au­tres par l’idée de l’être nécessaire en qui l’essence et l’être sont identiques, et il énumère, d’après les Alexandrins et les Arabes, plusieurs des attri­buts divins, la simplicité, l’immutabilité, l’unité, la bonté, etc. (Opp., t. XVII, p. 1 et suiv.). Aces recherches, dit Tennemann, il mêlait souvent des distinctions subtiles et un fatras dialectique sous lequel est enveloppée plus d’une inconséquence Ainsi il explique la création par l’émanation (creatio univoca), et cependant il nie l’émanation des âmes. Il soutient d’un côté l’intervention universelle de Dieu dans la nature ; de l’autre, les causes naturelles déterminant et limitant la causalité de Dieu. — Enfin la morale est égale­ment redevable à Albert de quelques aperçus ori­ginaux. Il considère la conscience comme la loi suprême qui oblige à faire ou à ne pas faire, et qui juge de la bonté des actions. Il distingue dans la conscience la puissance ou disposition morale, qu’il appelle syndérèse, avec quelques Pères de
  1. Église, et la manifestation habituelle de cette puissance ou conscience proprement dite (Opp., t. XVIII, p. 469). La vertu, en tant qu’elle est une perfection qui fait agir l’homme et qui rend ses actions agreablesàDieu, est versée par la Divinité même dans les âmes (virtus infusa) ; de là la dis­tinction des vertus théologiques, la foi, l’espérance et l’amour, lesquelles conduisent au vrai bien et sont un effet de la grâce, et des vertus cardinales