Page:Furetière - Le Roman bourgeois.djvu/115

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repos ; vous dormirez toute la matinée, vous irez joüer et vous promener tout le reste du jour ; pourveu que vous soyez avec luy à disner et à souper, cela suffira. Vous parlez sans procuration speciale (luy dit Bedout presque en colere) ; un mary ne prend une femme que pour avoir de la compagnie et pour regler sa maison. Cependant, au lieu de ménager son bien, elle iroit le dissiper ! le bien de Cresus n’y fourniroit pas. Pour moy, je voudrois qu’une femme vescust à ma mode, et qu’elle ne prist plaisir qu’à voir son mary. Vous donneriez (dit Laurence) des bornes bien estroites à ses plaisirs. Pour moy (reprit Bedout), je vous vais prouver par cent authoritez que cela doit aller ainsi ; et il alloit enfiler cent sottises et pedanteries quand, par bon-heur, une collation entra dans la salle, qui rompit ce ridicule entretien.

La seule galenterie qu’il fit ce jour là, fut qu’il voulut peler une poire pour sa maistresse ; mais comme c’estoit presque fait, elle luy échappa des doigts, et se sucra d’elle-mesme sur le plancher de la chambre. Il la ramassa avec une fourchette, souffla dessus, la ratissa un peu, puis la luy offrit, et luy dit encore, comme font plusieurs personnes maintenant, qu’il luy demandoit un million d’excuses. À quoy Javotte répondit ingenuement : Monsieur, je ne vous en sçaurois donner, car je n’en ay pas une seule. Après quelques discours et aventures semblables, la visite se termina. Bedout se hazarda jusqu’à reconduire sa maistresse chés elle ; mais il prit tousjours le haut du pavé, ce qu’il ne faisoit pas pourtant par incivilité ny par ambition, mais par ignorance, qui estoit bien pardonnable à un homme qui faisoit son apprentissage d’escuyer, et