Page:Furetière - Le Roman bourgeois.djvu/127

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tours autour de la table, ce qui donna occasion à Nicodeme d’appeler cette course un tournoy.

Laurence commençoit à rire de la folie de Vollichon, quant Bedout luy remonstra qu’elle avoit tort de trouver à redire à cette action, et que, si elle avoit leu Plutarque, elle auroit veu qu’autrefois Agesilaus fut surpris en la même posture, et qu’au lieu de s’en deffendre il pria seulement ceux qui l’avoient veu de n’en rien dire jusqu’à ce qu’ils eussent des enfans. Laurence ne répondit autre chose, sinon qu’on ne pouvoit rien faire qui n’eust son exemple dans l’antiquité, et, par discretion, elle ne voulut pas continuer sa risée au nez de Vollichon, de peur de le fascher ; elle se contenta de faire en elle-mesme reflexion sur la sottise des bourgeois, qui quittent l’entretien de la meilleure compagnie du monde pour joüer et badiner avec leurs enfans, et qui croyent estre bien excusez en alleguant l’affection paternelle, comme s’ils n’avoient pas assez de temps pour y satisfaire quand ils sont en particulier et dans leur domestique, et comme si le reste de la compagnie, qui n’est pas obligé d’avoir la mesme affection, devoit prendre le mesme divertissement à leurs jeux et à leurs gambades ; sottise d’autant plus ridicule qu’elle s’estend bien souvent jusqu’aux gens les plus esloignez de la bourgeoisie, et qui ne s’en deffendent que par l’exemple qu’avoit cité Bedout inutilement, puisqu’Agesilaus ne se divertissoit ainsi qu’en secret ; encore estoit-il honteux d’avoir été surpris en cette action.

Le reste de cette visite se passa en actions aussi badines. Laurence en fut bien-tost fatiguée, et, se levant, emmena avec elle son cousin. Nicodeme fut obligé de sortir en même temps, parce que Madame Vollichon se