Page:Furetière - Le Roman bourgeois.djvu/143

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frais ? Je vois beaucoup d’autheurs qui n’ont esté connus que par là. Pour moy, j’ay quasi envie d’en faire de mesme ; je fourniray assez de madrigaux et de chansons pour faire imprimer mon nom, et le faire afficher s’il est besoin. Il semble (dit Angélique) qu’ils peuvent du moins servir à faire une tentative de réputation : car, si les pièces qu’on y hazarde sont estimées, on en recueille la gloire en seureté ; et si elles ne plaisent pas, on en est quitte pour les desadvouer, ou pour dire qu’on vous les a desrobées, et qu’elles n’estoient pas faites à dessein de leur faire voir le jour.

J’advoue bien (dit Pancrace) que ceux qui sont déjà en reputation, et dont les ouvrages ont esté louez dans les ruelles et dans les caballes, l’ont bien conservée dans les Recueils. Mais je ne vois pas que ceux-là en ayent beaucoup acquis qui n’estoient point connus auparavant d’ailleurs. De sorte qu’il est arrivé que la pluspart des honnestes gens n’ont pas souffert qu’on y ait mis leur nom, et il n’y a eu que quelques ignorans qui se sont empressez pour cela. Je vis ces jours passez un different (adjousta Philalethe) qui serviroit bien à confirmer ce que vous dites : c’etoit à la boutique d’un des plus fameux faiseurs de Recueils. Un fort honneste homme qui ne vouloit point passer pour autheur déclaré le vint menacer de lui donner des coups de baston à cause qu’il avoit fait imprimer un petit nombre de vers de galenterie sous son nom, et l’avoit mis au commencement du livre, dans le catalogue des autheurs, qu’il avoit mesme fait afficher au coin des rues. Le pauvre libraire, avec un ton pleureux (aussi pleuroit-il effectivement), lui dit : Hélas ! monsieur, les pauvres libraires comme moy sont bien miserables et ont bien de la pei-