Page:Furetière - Le Roman bourgeois.djvu/174

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adroit de n’estre pas devenu bon tireur apres avoir fait un si bel apprentissage. Tous les blessez venoient aussitost demander à Polyphile quelque remede à leurs maux, et par de douces faveurs elle leur faisoit esperer guerison. Mais elle les traitoit à la maniere de ces dangereux chirurgiens qui, lors qu’ils pensent une petite playe avec leurs ferrements et poudres caustiques, la rendent grande et dangereuse. C’est ainsi qu’avec de feintes caresses elle jettoit de l’huile sur le feu et envenimoit ce qu’elle faisoit semblant de guérir. Ce n’est pas que d’autre costé l’Amour, pour les soulager, ne décochast plusieurs flesches contre le cœur de Polyphile, qui y firent des blessures en assez grand nombre. Il fut bien surpris de voir que la pluspart ne faisoient qu’effleurer la peau, et que, s’il y faisoit quelquefois des playes profondes, elles estoient gueries des le lendemain, et refermées comme si on y eust mis de la poudre de sympathie52. Ce fut bien pis quand il reconnut que Polyphile, ne se contentant pas des beautez que le ciel lui avoit données en partage, en recherchoit encore d’empruntées. Il n’avoit point encore connu jusqu’alors le déguisement et l’artifice ; il s’estonna beaucoup de voir du fard, des pommades, des mouches et le tour de cheveux blonds. Jusque là qu’ayant veu le soir sa maistresse en cheveux


52. Allusion à la fameuse panacèe inventée par le chevalier Digby, et pour laquelle il avoit fait tout un traité, souvent réimprimé : Discours sur la poudre de sympathie pour la guerison des plaies, Paris, 1658, 1662, 1730, in-12. Cette poudre, en somme, ne se composoit que de sulfate de fer, pulvérisé avec de la gomme arabique. V. Tallemant, in-8º, t. 3, p. 209.