Page:Furetière - Le Roman bourgeois.djvu/186

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Pancrace, qui reconnut que c’estoit une fille qui vouloit se mettre à la lecture et qui avoit esté eslevée jusqu’alors dans l’ignorance, crut trouver une belle occasion de luy rendre de petits services, en luy envoyant des livres. Ainsi il commença de luy applaudir, et demeura aucunement d’accord qu’on tiroit des livres beaucoup de choses qui se disoient dans les conversations ; que, quoy qu’elles n’y fussent pas mot à mot, les livres ouvroient l’esprit et le remplissoient de plusieurs idées qui luy fournissoient des matieres pour bien discourir. Il luy promit donc de luy en envoyer dès le soir, et la pria de croire qu’il n’y avoit point de si violente passion que celle qu’il avoit pour elle. Comme il achevoit cette protestation, Laurence, qui avoit amené Javotte, la vint advertir qu’il estoit temps de s’en retourner, et qu’on seroit en peine d’elle à la maison, de sorte qu’avec une profonde reverence elle prit congé de la compagnie, à laquelle sa beauté et son ingenuité ayant servi quelque temps d’entretien, le reste se separa.

Javotte, estant arrivée au logis, ne se pouvoit taire du plaisir qu’elle avoit eu de voir ce beau monde, et d’entendre tant de belles choses ; elle donna ordre à la servante, qui avoit esté sa nourrice, et sa confidente par consequent, de recevoir les livres qu’on lui envoieroit, et de les cacher dans la paillasse de son lit, de peur que l’on ne les trouvast dans son coffre, où sa mere fouilloit quelquefois. Les livres arriverent bien-tost apres (c’estoient les cinq tomes de l’Astrée, que Pancrace luy envoyoit). Elle courut à sa chambre, s’enferma au verroüil, et se mit à lire jour et nuit avec tant d’ardeur qu’elle en perdoit le boire et le manger. Et quand on vouloit la faire travailler à sa besogne ordi-