Page:Furetière - Le Roman bourgeois.djvu/221

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neantmoins il avoit esté donné à un homme de taille assez courte. Ce n’est pas que la nature eust rien fait perdre à ce petit homme, car ce qu’elle luy avoit osté en hauteur, elle le lui avoit rendu en grosseur, de sorte qu’on luy trouvoit assez de chair, mais fort mal pestrie. Sa chevelure estoit la plus desagreable du monde, et c’est sans doute de luy qu’un peintre poetique, pour ébaucher le portrait de sa teste, avoit dit :

On y void de piquans cheveux,
Devenus gras, forts et nerveux,
Herisser sa teste pointuë,
Qui tous meslez s’entraccordans,
Font qu’un peigne en vain s’évertuë
D’y mordre avec ses gosses dents.

Aussi ne se peignoit-il jamais qu’avec ses doigts, et dans toutes les compagnies c’estoit sa contenance ordinaire. Sa peau estoit grenuë comme celle des maroquins, et sa couleur brune estoit rechauffée par de rouges bourgeons qui la perçoient en assez bon nombre. En general il avoit une vraye mine de satyre. La fente de sa bouche estoit copieuse, et ses dents fort aigues : belles dispositions pour mordre. Il l’accompagnoit d’ordinaire d’un ris badin, dont je ne sçay point la cause, si ce n’est qu’il vouloit monstrer les dents à tout le monde. Ses yeux gros et bouffis avoient quelque chose de plus que d’estre à fleur de teste. Il y en a qui ont cru que, comme on se met sur des balcons en saillie hors des fenestres pour decouvrir de plus loin, aussi la nature luy avoit mis des yeux en dehors, pour découvrir ce qui se faisoit de mal chez ses voisins. Ja-