Page:Furetière - Le Roman bourgeois.djvu/228

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ay deux que je vous veux donner pour rien. Cela ne sera pas de refus (dit la demoiselle) ; je vous promets de les poursuivre ; il y aura bien du malheur si je n’en tire quelque chose. Et, pour donner plus d’authorité à son dire, elle luy voulut raconter quelqu’un de ses exploits. Or, c’estoit assez le faire que de continuer le discours qu’elle avoit commencé avant cette interruption. Il n’étoit gueres advancé quand le greffier sortit du greffe, apres lequel ce gascon courrut brusquement sans dire adieu. Elle auroit bien fait la mesme chose, si ce n’estoit qu’elle avoit l’esprit trop attaché à son recit. Aussi elle n’accusa point le gascon pour cela d’incivilité, car c’est l’usage du palais qu’on quitte souvent ainsi les premiers complimens et les conversations où on est le plus engagé. Charroselles eust aussi voulu suivre le greffier, mais Collantine le retint par son manteau pour continuer le recit de son procès, dont le sujet estoit assez plaisant, mais la longueur un peu ennuyeuse. Si j’estois de ces gens qui se nourrissent de romans, c’est à dire qui vivent des livres qu’ils vendent, j’aurois icy une belle occasion de grossir ce volume et de tromper un marchand qui l’acheteroit à la fueille. Comme je n’ay pas ce dessein, je veux passer sous silence cette conversation, et vous dire seulement que l’homme le plus complaisant ne presta jamais une plus longue audiance que fit Charroselles ; et, comme il croyoit en estre quitte, il fut tout estonné que la demoiselle se servit de la fin de ce procès pour faire une telle transition. Mais celuy-là n’est rien (ce dit-elle) au prix d’un autre que j’ay à l’edit70, sur une belle question de coustume,


70. Les chambres de l’édit, qu’on nommoit ainsi parce-