Page:Furetière - Le Roman bourgeois.djvu/230

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ame, elle dit plusieurs fois : Ô nuit, jalouse nuit71 ! et qu’elle fit contre elle des imprécations aussi fortes qu’un amant en fait contre l’aurore qui vient arracher sa maîtresse d’entre ses bras. Ses plaisirs donc se terminerent par cette necessaire separation ; ils ne laisserent pas de se faire quelques complimens, et de se promettre des services et des sollicitations reciproques en leurs affaires. Collantine, la plus ardente, fut la premiere à demander à Charroselles un placet pour donner à son rapporteur, auprès duquel elle disoit avoir une forte recommandation. Il lui en donna un avec joie, et luy offrit de luy rendre un pareil office s’il en trouvoit l’occasion. Elle la prit aux cheveux, et, tirant de sa poche une grosse liasse de placets differens, avec une liste generale des chambres du parlement, elle luy dit : Regardez si vous ne connoissez personne de ces messieurs. Il luy demanda en quelle chambre elle avoit affaire. Elle luy


71. C’est la fameuse chanson de Desportes, « qui, dit M. Sainte-Beuve, confirmé d’ailleurs par ce passage de Furetière, se chantoit encore sous la minorité de Louis XIV. »

Ô nuit ! jalouse nuit, contre moi conjurée,
Qui renflammea le ciel de nouvelle clairté,
T’ai-je donc aujourd’hui tant de fois désirée
Pour être si contraire à ma félicité ?

(Œuvres de Desportes, Rouen, Raphaël du Petit-Val, 1611, p. 518.)

Regnier, dans sa 10e satire (v. 406), fait aussi allusion à cette chanson célèbre. Desportes l’avoit imitée du capitolo VII des poésies diverses de l’Arioste : O ne miei danni, qui avoit déjà inspiré à Olivier de Magny (1559) la Description d’une nuit amoureuse (V. ses Odes), et qui devoit donner encore à Gille Durant l’idée de ses stances : Ô nuit ! heureuse nuit !