Page:Furetière - Le Roman bourgeois.djvu/24

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y en a tres-peu qui reprennent les defauts ordinaires, qui sont d’autant plus dangereux qu’ils sont plus frequens : car on y tombe par habitude, et personne presque ne s’en donne de garde. Ne voit-on pas tous les jours une infinité d’esprits bourus, d’importuns, d’avares, de chicaneurs, de fanfarons, de coquets et de coquettes ? Cependant y a-il quelqu’un qui les oze advertir de leurs defauts et de leurs sottises, si ce n’est la comédie ou la satyre ? Celles-cy, laissant aux docteurs et aux magistrats le soin de combattre les crimes, s’arrestent à corriger les indecences et les ridiculitez, s’il est permis d’user de ce mot. Elles ne sont pas moins necessaires, et sont souvent plus utiles que tous les discours sérieux. Et, comme il y a plusieurs personnes qui se passent de professeurs de philosophie, qui n’ont pu se passer de maistres d’escoles, de mesme on a plus de besoin de censeurs des petites fautes, où tout le monde est sujet, que des grandes, où ne tombent que les scelerats. Le plaisir que nous prenons à railler les autres est ce qui fait avaller doucement cette medecine qui nous est si salutaire. Il faut pour cela que la nature des histoires et les caracteres des personnes soient tellement appliqués à nos mœurs, que nous croyions y reconnoistre les gens que nous voyons tous les jours. Et comme un excellent portrait nous demande de l’admiration, quoy que nous n’en ayons point pour la personne dépeinte, de même on peut dire que des histoires fabuleuses bien décrites et sous des noms empruntez, font plus d’impression sur notre esprit que les vrais noms et les vrayes adventures ne sçauroient faire. C’est ainsi que celui qui contrefait le bossu devant un autre bossu luy fait bien mieux