Page:Furetière - Le Roman bourgeois.djvu/264

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vre. Rocolet luy demanda encore s’il vouloit un livre d’histoire, de philosophie, ou de quelqu’autre science. Belastre luy répondit qu’il ne s’en soucioit pas, et qu’il vouloit seulement qu’il luy vendist un livre. Mais encore (insista le marchand), afin que je vous en donne un qui vous puisse estre plus utile, dites-moy à quoy vous vous en voulez servir. Belastre luy répondit brusquement : C’est à mettre en presse mes rabats98. Cette réponse fit rire le libraire et tous ceux qui l’entendirent, et monstra que cet homme se connoissoit fort en livres, et qu’il en sçavoit merveilleusement l’usage. Il estoit si peu versé dans la connoissance du Palais, que, mesme depuis qu’il fut magistrat, il croyoit que les chambres des enquestes99 estoient comme les classes du collége, et qu’on montoit de l’une à l’autre à mesure qu’on devenoit plus capable ; de sorte qu’ayant veu un jeune homme sortir de la quatriesme chambre, il s’en estonna, et dit tout haut : Voila un conseiller bien advancé pour son âge. Une autrefois, à la table d’un president, quelqu’un vint à citer la loy des douze tables. Vrayement (luy dit Belastre en l’interrompant), il falloit que ces Romains


98. Encore une plaisante idée que Molière reprendra plus tard pour en faire un des meilleurs traits de la grande tirade de Chrysale dans les Femmes savantes :

Et, hors un grand Plutarque à mettre mes rabats,
Vous devriez brûler tout ce meuble inutile.

Ce Plutarque ainsi employé reparoît dans le discours que Palaprat a mis en tête de sa comédie des Empiriques : « C’est, ajoute-t-il, un grand in-folio de Vascosan. » (Les œuvres de monsieur Palaprat, etc., Paris, 1712, in-8, t. 2, p. 36.)

99. « On y jugeoit des procès par écrit. Il y en avoit cinq à Paris. » (Dict. de Furetiére.)