Page:Furetière - Le Roman bourgeois.djvu/298

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plus lucrative de leur mestier. Mais je vous advoüray (ajousta-t’elle) que j’y trouve une chose qui me choque fort : c’est qu’on y taxe de grands droits aux procureurs pour les choses qu’ils ne font point du tout, comme les consultations et les revisions d’ecritures, et on leur en taxe de très-petits pour celles qu’ils font effectivement, comme les comparutions aux audiences pour obtenir les arrests ; c’est un point qu’il sera tres-important de corriger, quand on fera la reformation des abus de la justice. Apres cela (continua Charroselles, qui avoit esté aussi obligé d’apprendre à plaider à ses dépens à cause du procès qu’il avoit eu contre Collantine) n’avoüerez-vous pas que c’est un méchant mestier que de plaider, puis qu’on est exposé à souffrir ces mangeries ? Il faut distinguer (répondit la demoiselle), car on a grand sujet de plaindre ces plaideurs par necessité, qui sont obligez de se deffendre le plus souvent sans en avoir les moyens, quand ils sont attaquez par des personnes puissantes, et attirez hors de leur pays en vertu d’un committimus. Mais il n’en est pas de mesme de ces plaideurs volontaires qui attaquent les autres de gayeté de cœur, car ils sont redoutables à toutes sortes de personnes, et ils ont l’avantage de faire enrager bien des gens. Vous m’advouërez vous-mesme que c’est le plus grand plaisir du monde, et qu’on peut bien faire autant de mal par un exploit que par une satyre. Outre que leurs parties sont tousjours contraintes, pour se racheter de leurs vexations, de leur donner de l’argent ou de leur abandonner une partie de la chose contestée, de sorte que, quelque méchant procès qu’ils puissent avoir, pourveu qu’ils les sçachent tirer en longueur, ils y trouvent plus de gain que de perte.