Page:Furetière - Le Roman bourgeois.djvu/34

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Je reviens à ma belle questeuse, et pour l’amour d’elle je veux passer sous silence (du moins jusqu’à une autre fois) toutes les autres avantures qui arriverent cette journée-là dans cette grande assemblée de gens enroollez sous les étendars de la galanterie. Cette fille estoit pour lors dans son lustre, s’estant parée de tout son possible, et ayant esté coiffée par une demoiselle suivante du voisinage, qui avoit appris immediatement de la Prime. Elle ne s’estoit pas contentée d’emprunter des diamants, elle avoit aussi un laquais d’emprunt qui lui portoit la queue, afin de paroistre davantage. Or, quoy que cela ne fût pas de sa condition, neantmoins elle fut bien aise de ménager cette occasion de contenter sa vanité ; car on ne doit point trouver à redire à tout ce qui se fait pour le service et l’avantage de l’Eglise. Quant à son meneur, c’estoit le maistre clerc du logis, qu’elle avoit pris par nécessité autant que par ostentation ; car le moyen sans cela de traverser l’Eglise sur des chaises, sur lesquelles on entendoit le sermon, à moins que d’avoir une asseurance de danceur de corde ? Avec ces avantages, elle fit fort bien le profit de la sacristie ; mais avant que je la quitte, je suis encore obligé de vous dire qu’elle estoit fort jeune, car cela est necessaire à l’Histoire, comme aussi que son esprit avoit alors beaucoup d’innocence, d’ingenuité ou de sottise. Je n’ose dire asseurément laquelle elle avoit de ces trois belles qualitez ; vous en jugerez vous-mesme par la suite.

À cette solemnité se trouva un homme amphibie, qui estoit le matin advocat et le soir courtisan ; il portoit le matin la robe au Palais pour plaider ou pour écouter, et le soir il portoit les grands canons, et les