Page:Furetière - Le Roman bourgeois.djvu/36

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amoureux universel. Neantmoins, pour cette fois, l’Amour banda son arc plus fort, ou le tira de plus près, de sorte que la flèche enfonça plus avant dans son cœur qu’elle n’avoit accoustumé. Je ne vous sçaurois dire précisément quelle fut l’émotion que son cœur sentit à l’approche de cette belle (car personne pour lors ne luy tasta le poux), mais je sçay bien que ce fut ce jour-là précisement qu’il fit un vœu solemnel de luy rendre service. Bien-tost après, une heureuse occasion s’en presenta tout à propos. Elle vint quester à un jeune homme qui estoit auprès de luy. C’estoit un autre petit clerc du logis, très malicieux, qui estoit en colère contre elle parce qu’elle avoit retiré les clefs de la cave des mains d’une servante qui luy donnoit du vin. Comme il vid qu’elle faisoit vanité de faire voir que sa tasse estoit pleine d’or et de grosses pieces blanches, il tira de sa poche une poignée de deniers ; il en arrosa sa tasse pour luy faire dépit, et couvrit toutes les pieces qu’elle estalloit en parade. La questeuse en rougit de honte, et du doigt écarta le plus qu’elle pût cette menue monnoye, qui, malgré toute son adresse, ne parût encore que trop. Ce fut alors que Nicodème (ainsi s’appeloit le nouveau blessé ), lui presentant une pistolle, feignit de luy en demander la monnoye ; mais il ne fit que retirer de la tasse les deniers, et il luy donna le reste en pur don.

Cette nouvelle sorte de galenterie fut remarquée par Javotte, qui en son ame en eust de la joye, et qui crût en effet luy en avoir de l’obligation. Ce qui fit qu’au sortir de l’église, elle souffrit qu’il l’abordast avec un compliment qu’il avoit medité pendant tout le temps qu’il l’avoit attendue. Cette occasion luy fut fort favo-