Page:Furetière - Le Roman bourgeois.djvu/39

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débiter la fleurette avec profusion, s’il eust trouvé une personne qui luy eust voulu tenir teste. Il fut bien surpris de ce que, dès les premieres offres de service, on l’avoit fait expliquer en faveur d’une recherche legitime. Mais il avoit tort de s’en estonner, car c’est le deffaut ordinaire des filles de cette condition, qui veulent qu’un homme soit amoureux d’elles si-tost qu’il leur a dit une petite douceur, et que, si-tost qu’il en est amoureux, il aille chez des notaires ou devant un curé, pour rendre les témoignages de sa passion plus asseurez. Elles ne sçavent ce que c’est de lier de ces douces amitiez et intelligences qui font passer si agreablement une partie de la jeunesse, et qui peuvent subsister avec la vertu la plus severe. Elles ne se soucient point de connoistre pleinement les bonnes ou les mauvaises qualitez de ceux qui leur font des offres de service, ny de commencer par l’estime pour aller en suite à l’amitié ou à l’amour. La peur qu’elles ont de demeurer filles les fait aussi-tost aller au solide, et prendre aveuglément celuy qui a le premier conclu. C’est aussi la cause de cette grande différence qui est entre les gens de la cour et la bourgeoisie : car la noblesse faisant une profession ouverte de galanterie, et s’accoûtumant à voir les dames dès la plus tendre jeunesse, se forme certaine habitude de civilité et de politesse qui dure toute la vie. Au lieu que les gens du commun ne peuvent jamais attraper ce bel air, parce qu’ils n’étudient point cet art de plaire qui ne s’apprend qu’aupres des dames, et qu’apres estre touché de quelque belle passion. Ils ne font jamais l’amour qu’en passant et dans une posture forcée, n’ayant autre but que de se mettre vistement en ménage. Il ne faut pas s’étonner apres cela si le reste