Page:Furetière - Le Roman bourgeois.djvu/45

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yeux estoient fins et éveillez, son oreille estoit excellente, car elle entendoit le son d’un quart-d’escu de cinq cens pas, et son esprit étoit prompt, pourveu qu’il ne le fallût pas appliquer à faire du bien. Jamais il n’y eut ardeur pareille à la sienne, je ne dis pas tant à servir ses parties comme à les voler. Il regardoit le bien d’autrui comme les chats regardent un oiseau dans une cage, à qui ils tâchent, en sautant autour, de donner quelque coup de griffe. Ce n’est pas qu’il ne fist quelquefois le genereux, car s’il voyoit quelque pauvre personne qui ne sçeust pas les affaires, il luy dressoit une requeste volontiers, et luy disoit hautement qu’il n’en vouloit rien prendre ; mais il luy faisoit payer la signification plus que ne valloit la vacation de l’huissier et la sienne ensemble. Il avoit une antipathie naturelle contre la verité : car jamais pas une n’eut osé approcher de luy (quand mesme elle eût esté à son avantage) sans se mettre en danger d’estre combattue.

On peut juger qu’avec ces belles qualitez il n’avoit pas manqué de devenir riche, et en mesme temps d’estre tout à fait descrié : ce qui avoit fait dire à un galand homme fort à propos, en parlant de ce chicanneur, que c’estoit un homme dont tout le bien estoit mal acquis, à la reserve de sa reputation. Il en demeuroit mesme quelquefois d’accord ; mais il asseuroit qu’il estoit beaucoup changé, et il disoit un jour à Nicodeme, pour l’exciter à suivre le chemin de la vertu, qu’il avoit plus gagné depuis un an qu’il estoit devenu honneste homme qu’en dix ans auparavant, qu’il avoit vécu en fripon. Peut-être avoit-il quelque raison de parler ainsi : car il est vray que les amendes et les interdictions dont on avoit puny quelques unes de ses friponneries, qui a-