Page:Furetière - Le Roman bourgeois.djvu/76

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tous les jours de nouvelles pour avoir du débit ; du corps des tailleurs on tireroit des auditeurs de mode, qui, sur leurs bureaux ou etablis, les mettroient en estat d’estre jugées, et en feroient le rapport ; pour juges on prendroit les plus legers et les plus extravaguants de la cour, de l’un et de l’autre sexe, qui auroient pouvoir de les arrêter et verifier, et de leur donner authorité et credit. Il y auroit aussi des huissiers porteurs de modes, exploitans par tout le royaume de France. Il y auroit enfin des correcteurs de modes, qui seroient de bons prud’hommes qui mettroient des bornes à leur extravagance, et qui empescheroient, par exemple, que les formes des chapeaux ne devinssent hautes comme des pots à beure, ou plattes comme des calles, chose qui est fort à craindre lors que chacun les veut hausser ou applattir à l’envy de son compagnon, durant le flux et reflux de la mode des chapeaux ; ils auroient soin aussi de procurer la reformation des habits, et les décris necessaires, comme celuy des rubans, lors que les garnitures croissent tellement qu’il semble qu’elles soient montées en graine, et viennent jusqu’aux pochettes. Enfin, il y auroit un greffe ou un bureau estably, avec un estalon et toutes sortes de mesures, pour régler les differens qui se formeroient dans la juridiction, avec une figure vestue selon la derniere mode, comme ces poupées qu’on envoie pour ce sujet dans les provinces18. Tous les tail-


18. Ces poupées de modes, qui donnoient le ton pour les toilettes, avoient d’abord été attifées chez mademoiselle de Scudéry, d’où elles partoient pour la province ou l’étranger. L’une étoit pour le négligé, l’autre pour les grandes toilettes. On les appeloit la grande et la petite Pandore, et c’est aux