Page:Furetière - Le Roman bourgeois.djvu/79

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noncer le coup de malheur qui luy estoit arrivé, qu’elle plaignit avec des termes aussi pathetiques que s’il y fust allé de la ruine de l’estat. Cela troubla tout ce petit peloton ; quelques-uns, par complaisance, luy aidèrent à pester contre ce malheureux Ambezas qui estoit venu sans qu’on l’eust mandé ; d’autres la consolerent sur l’inconstance de la fortune et lui promirent de sa part un sonnez pour une autre fois. Et cependant le marquis, qui ne cherchoit qu’une occasion de se retirer, prit congé de Lucrece, non sans luy dire en particulier qu’il esperoit de venir chez elle le lendemain en meilleur ordre, lui demandant la permission de continuer ses visites. Mais en sortant il pensa luy arriver encore le mesme accident, car les maquignons sont tres-frequens en ce quartier-là. Il ne put battre celuy-cy non plus que l’autre, à cause de sa fuite ; mais son page l’en vengea, et, n’estant pas dans sa colère si raisonnable que son maistre, il la déchargea sur un autre maquignon qui estoit à pied sur le pas de sa porte. Et comme ce pauvre homme lui disoit : Ha, monsieur, je ne crotte personne ! Hé bien, c’est pour ceux que tu as crottez et que tu crotteras. Action de justice et chastiment remarquable, qui devroit faire honte à nos officiers de police.

À peine le marquis estoit-il remonté dans son carosse que ses laquais, à l’exemple du maistre et du page, animez contre les crotteurs de gens, virent passer des meuniers sur la crouppe de leurs mulets accouplez trois à trois, qui faisoient aussi belle diligence que des courriers extraordinaires. Le grand laquais jetta un gros pavé qu’il trouva dans sa main à l’un de ces meuniers avec une telle force que cela eust été capable de rompre les reins de tout autre ; mais ce rustre, hochant la teste