Page:Furetière - Le Roman bourgeois.djvu/98

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lerie, prit congé d’elle peu de temps apres. Il ne fut pas assez hardy pour salüer, en sortant, sa maistresse de la maniere qu’il est permis aux amans declarez. Pour Javotte, elle se contenta de luy faire une reverence muette ; mais en se levant elle laissa tomber un peloton de fil et ses ciseaux, qui estoient sur sa juppe. Nicodeme se jette aussi-tost avec precipitation à ses pieds pour les relever ; Javotte se baisse, de son costé, pour le prevenir ; et, se relevant tous deux en mesme temps, leurs deux fronts se heurterent avec telle violence, qu’ils se firent chacun une bosse. Nicodeme, au desespoir de ce malheur, voulut se retirer promptement ; mais il ne prit pas garde à un buffet boiteux qui estoit derriere luy, qui choqua si rudement qu’il en fit tomber une belle porcelaine, qui estoit une fille unique fort estimée dans la maison. Là dessus, la mère éclate en injures contre luy. Il fait mille excuses, et en veut ramasser les morceaux pour en renvoyer une pareille ; mais en marchant brusquement avec des souliers neufs sur un plancher bien frotté et tel qu’il devoit estre pour des fiançailles, le pied luy glissa, et comme, en ces occasions, on tâche à se retenir à ce qu’on trouve, il se prit aux houppes des cordons qui tenoient le miroir attaché ; or, le poids de son corps les ayant rompus, Nicodeme et le miroir tombèrent en mesme temps. Le plus blessé des deux, neantmoins, ce fut le miroir, car il se cassa en mille pièces, Nicodeme en fut quitte pour deux contusions assez legères. La procureuse, s’ecriant plus fort qu’auparavant, luy dit : Qui m’amène ici ce ruine-maisons, ce brise-tout ? et se met en estat de le chasser avec le manche du ballay. Nicodeme, tout honteux, gagne la porte de la salle ; mais, estant en colere, il l’ouvrit avec tant de violence,