Page:G. Bruno - Le Tour de la France par deux enfants, 1904.djvu/25

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— André, dit-il, puisque je vais dormir, je vais faire ma prière du soir.

— Oui, mon Julien, nous la dirons ensemble.

Et les deux orphelins, perdus au milieu de cette grande et triste solitude de la montagne, élevèrent dans une même prière leurs jeunes cœurs vers le ciel.

Peu de temps après, Julien s’était endormi. Sa petite tête reposait confiante sur l’épaule d’André ; le frère aîné, de son mieux, protégeait l’enfant contre la fraîcheur de la nuit, et il écoutait sa respiration tranquille : ce bruit léger troublait seul le silence qui les enveloppait.

André, malgré lui, sentit une grande tristesse lui monter au cœur. — Réussirons-nous jamais à arriver en France ? se disait-il. Quelquefois les brouillards dans la montagne durent plusieurs jours. Qu’allons-nous devenir si celui-ci tarde à se dissiper ?

Une fatigue extrême s’était emparée de lui. La bise glaciale, qui faisait frissonner les pins, le faisait lui aussi trembler sur le sol où il était assis. Parfois le vent soulevait autour de lui les feuilles tombées à terre : inquiet, André dressait la tête, craignant que ce ne fût le bruit de pas ennemis et que quelqu’un tout à coup ne se dressât en face de lui pour lui dire en langue allemande : — Que faites-vous ici ? Qui êtes-vous ? Où allez-vous ?

Ainsi le découragement l’envahissait. Mais alors un cher souvenir s’éleva en son cœur et vint à son aide. Il se rappela le regard profond de son père mourant, lorsqu’il avait placé la main de Julien dans la sienne pour le lui confier ; il crut entendre encore ce mot plus faible qu’un souffle passer sur les lèvres paternelles : France. Et lui aussi le redit tout bas ce mot : France ! patrie !… Et il se sentit honteux de son découragement.

— Enfant que je suis, s’écria-t-il, est-ce que la vie n’est pas faite tout entière d’obstacles à vaincre ? Comment donc enseignerai-je à mon petit Julien à devenir courageux, si moi-même je ne sais pas me conduire en homme ?

Réconforté par ce souvenir plus puissant que tous les obstacles, priant l’âme de son père de leur venir en aide dans ce voyage vers la patrie perdue, il sut mettre à attendre le même courage qu’il avait mis à agir.