Page:G. Bruno - Le Tour de la France par deux enfants, 1904.djvu/38

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La route, formant un défilé entre de hautes collines, suivait tout le temps le bord de l’eau, et les petits oiseaux gazouillaient joyeusement sur les buissons de la rivière.

Nos jeunes voyageurs étaient ravis du beau temps qui s’annonçait, mais ils étaient encore plus satisfaits des bonnes paroles que la fermière leur avait dites au départ, et le petit Julien, qui trouvait en lui-même qu’il est bien facile d’être reconnaissant, s’étonnait qu’on leur en sût tant de gré. Il marchait gaîment, tenant André par la main et sautant de temps à autre comme un petit pinson.

— Où va donc, s’écria-t-il, cette jolie rivière qui coule tout le temps à côté de notre route entre des rochers hauts comme des murailles ?

— Tu sais bien, Julien, que les petites rivières vont aux grandes, les grandes aux fleuves, et les fleuves à la mer.

— Oui, mais je voulais demander dans quel pays elle ira.

— Elle ira retrouver la Meurthe, qui se jette elle-même dans la Moselle. Tu te rappelles, Julien, quel pays arrosent la Meurthe et la Moselle ?

— Oui, dit l’enfant devenant triste soudain, je sais que la Meurthe et la Moselle sont des rivières de la Lorraine. La Moselle passe en Alsace-Lorraine où nous sommes nés, où nous n’irons plus, et où notre père est resté pour toujours.

Et le petit garçon semblait réfléchir. Tout à coup il quitta la main d’André : il avait vu dans l’herbe les jolies clochettes d’une fleur d’automne ; il en fit un bouquet, le lia avec de l’herbe, et le jetant avec un doux sourire dans l’eau limpide de la rivière : « Peut-être s’en ira-t-il jusque là-bas ? »

André murmura doucement : « Peut-être. » Et, pris lui aussi d’un cher ressouvenir pour la terre natale, il détacha une branche de chêne et l’envoya rejoindre le bouquet de Julien.

Puis ils continuèrent leur route, suivant de l’œil le bouquet et la branche qui descendaient la rivière, et sans rien dire ils pensaient en leur cœur : « Petite fleur des Vosges, petite branche de chêne, va, cours, que les flots t’emportent vers la terre natale comme un dernier adieu, comme une dernière couronne aux morts qui dorment dans son sein. »