Page:G. Bruno - Le Tour de la France par deux enfants, 1904.djvu/8

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leur visage, on aurait pu deviner qu’ils étaient orphelins. Lorsqu’ils se furent un peu éloignés de la ville, le grand frère s’adressa à l’enfant et, à voix très basse, comme s’il avait eu crainte que les arbres mêmes de la route ne l’entendissent :

— N’aie pas peur, mon petit Julien, dit-il ; personne ne nous a vus sortir.

— Oh ! je n’ai pas peur, André, dit Julien ; nous faisons notre devoir, Dieu nous aidera.

— Je sais que tu es courageux, mon Julien, mais, avant d’être arrivés, nous aurons à marcher pendant plusieurs nuits ; quand tu seras trop las, il faudra me le dire : je te porterai.

— Non, non, répliqua l’enfant ; j’ai de bonnes jambes et je suis trop grand pour qu’on me porte.

Tous les deux continuèrent à marcher résolument sous la pluie froide qui commençait à tomber. La nuit, qui était venue, se faisait de plus en plus noire. Pas une étoile au ciel ne se levait pour leur sourire ; le vent secouait les grands arbres en sifflant d’une voix lugubre et envoyait des rafales d’eau au visage des enfants. N’importe, ils allaient sans hésiter, la main dans la main.

À un détour du chemin, des pas se firent entendre. Aussitôt, sans bruit, les enfants se glissèrent dans un fossé et se cachèrent sous les buissons. Immobiles, ils laissèrent les passants traverser. Peu à peu, le bruit lourd des pas s’éloigna, sur la grande route ; André et Julien reprirent alors leur marche avec une nouvelle ardeur.

Après plusieurs heures de fatigue et d’anxiété ils virent enfin, tout au loin, à travers les arbres, une petite lumière se montrer, faible et tremblante comme une étoile dans un ciel d’orage. Prenant par un chemin de traverse, ils coururent vers la chaumière éclairée.

Arrivés devant la porte, ils s’arrêtèrent interdits, n’osant frapper. Une timidité subite les retenait. Il était aisé de voir qu’ils n’avaient pas l’habitude de heurter aux portes pour demander quelque chose. Ils se serrèrent l’un contre l’autre, le cœur gros, tout tremblants. André rassembla son courage.

— Julien, dit-il, cette maison est celle d’Étienne le sabotier, un vieil ami de notre père : nous ne devons pas craindre de lui demander un service. Prions Dieu afin qu’il permette qu’on nous fasse bon accueil.