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ISOLINE

trente ans de navigation, vit maintenant près d’elle, de sa maigre pension de retraite et des petits bénéfices que lui procure le bateau dont il a la garde.

La vie de cette fille de soixante ans peut se résumer en trois mots : dévouement, misère, résignation. Elle n’a rien vu, rien eu, rien espéré. Ses yeux bleus ont sous leurs arcades profondes une limpidité extraordinaire, un calme séraphique. Elle ne s’est pas mariée parce qu’il fallait soigner ses petits frères, puis son père veuf et malade ; et lorsqu’il mourut à quatre-vingts ans, elle avait passé l’âge des amours. Elle se sait atteinte de l’affection au cœur qui emporta sa mère et s’attend, sans terreur aucune, à mourir subitement une nuit.

Quelques jours après son arrivée, Gilbert Hamon, à travers les mauvais chemins et les terres détrempées, gagna les bords de la Rance et poussa la porte vermoulue de la cabane.

— « Ah ! monsieur Gilbert, s’écria Marie en se levant vivement, comme c’est aimable de vous souvenir de moi et de venir par une pluie pareille !

— Comment allez-vous, ma bonne Marie ?

— Ma vieille carcasse dure encore malgré le mal, mais c’est peu intéressant, parlons de vous plu-