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INTRODUCTION

geste. Mais Roland, le pauvre Roland ! On eut la pensée déplorable de composer une « Histoire » de notre héros, en amalgamant nos vieux romans avec les poëmes italiens[1]. Cette cuisine fut abominable. Mais ce n’est rien en comparaison de la « Chanson de Roland restituée par M. de Tressan ». Restituée est adorable. « Oui, s’écrie M. de Tressan, je vais vous la reconstituer telle qu’elle devrait se chanter à la tête de nos armées. » Et il se met bravement à la besogne, en prose et en vers. Il se grise tellement à ce travail, qu’il en arrive bientôt à croire lui-même à sa propre imagination. Il déclare d’un air fort sérieux que les soldats français ne disaient sans doute que les sept premiers couplets. — Et de quelle chanson parle-t-il donc ainsi ? — De la chanson qu’il vient de composer, lui, Tressan !!![2] Heu-

  1. Bibliothèque des Romans, novembre-décembre 1777. L’Histoire de Roland a été empruntée tantôt aux sources françaises, tantôt aux sources italiennes. (Ces sources sont : Girars de Viane, les Quatre fils Aimon, Galien restauré, Fierabras, le Morgante de Pulci, l’Orlando innamorato de Boiardo et sa Suite par Agostini, l’Orlando furioso par l’Arioste et la Continuation de ce poëme par Grotta, la Mort de Roger par Pescatore de Ravenne, etc.)
  2. Bien que nous l’ayons déjà citée dans nos Épopées françaises (I, p. 584), nous croyons rigoureusement nécessaire de citer ici la « Restitution » de M. de Tressan avec le petit Prologue dont il l’accompagne. « Nous ne disserterons pas, dit-il, sur la fameuse Chanson de Roland. Il est certain que, pendant tout le temps qu’ont régné les descendants de Charlemagne et pendant environ trois siècles sous la troisième race de nos rois, les troupes françaises répétaient cette chanson. Sans nous amuser à déterrer dans la poussière des bibliothèques quelques fragments imparfaits et barbares de cette chanson, sans recourir à la supposition d’un manuscrit dans lequel cette chanson se trouveroit transcrite dans son langage originel, imaginons plutôt quels pouvoient en être le sens et l’esprit. Il est probable qu’elle ne contenait point une relation de tous les hauts faits de Roland. Il est plus naturel de croire qu’on présentoit aux soldats le caractère de Roland comme un modèle à imiter et qu’on leur montroit le paladin, comme un chevalier brave, intrépide, ardent et zélé pour le service de son roi et de sa patrie ; qu’on leur ajoutoit qu’il étoit humain après la victoire, ami sincère de ses camarades, doux avec les bourgeois et les paysans ; qu’il n’étoit pas querelleur, évitoit l’excès du vin et n’étoit point esclave des femmes. Enfin voici ce que nous croyons que chantoient nos soldats il y a sept ou huit cents ans, en allant au combat. »
    CHANSON DE ROLAND
    Soldats françois, chantons Roland ;

    De son pays il fut la gloire.