Page:Gautier - La sœur du soleil.djvu/214

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lier aux femmes japonaises, puis elle s’agenouilla un instant devant le seigneur.

Il la traita paternellement, l’installa dans les appartements d’honneur, donna des fêtes pour elle, organisa des chasses. Il lui montra ses domaines, lui ut des cadeaux splendides.

Fatkoura éprouvait une étrange sensation dans ce milieu où tout lui parlait de son fiancé. Elle vit la chambre où il était né, on lui montra les jouets brisés par ses mains d’enfant, ses premiers vêtements, qui gardaient le souvenir d’une forme déjà gracieuse. On lui racontait mille traits charmants de cette enfance adorée, puis les actions héroïques de l’adolescent, du jeune homme, ses succès littéraires, la noblesse de son âme, sa bonté, son dévouement. Le seigneur ne tarissait pas ; l’amour du père torturait et avivait l’amour douloureux de la femme.

Puis une sorte dé résignation lui vint. À force de cacher sa douleur, elle l’ensevelit au fond d’elle-même et l’atténua ; elle s’efforça d’oublier qu’elle n’était pas aimée ; elle trouva une consolation dans la force du sentiment qu’elle éprouvait.

— J’aime, se disait-elle cela suffit ; je me contenterai de le voir, de l’entendre, de porter son nom ; je serai patiente ; le temps peut-être le guérira, il aura pitié alors de ma longue résignation, il se souviendra de tout ce que j’ai souffert pour lui ; son cœur s’attendrira, il m’aimera ; je finirai ma vie, heureuse, près de lui ; je serai la mère de ses enfants.

Bientôt les bruits de guerre s’affirmèrent. L’inquiétude envahit les cœurs, la vie de l’absent était en péril.

— Où est-il en ce moment ? disait Fatkoura.

— Il est au poste le plus périlleux, j’en suis sur ! répliquait le vieux seigneur.