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insignifiantes. Les descriptions sont parfaites, mais les endroits décrits laids et ennuyeux ; les personnages sont saisissants de vérité, mais on aimerait autant ne pas les voir, et on les fuirait comme la peste, si on avait le malheur de les rencontrer.

— Tu exagères peut-être un peu, dit mon père : « Catalepsie — Épilepsie » ! Cependant il y a quelque chose d’assez juste dans ton observation : c’est le contraste entre le style recherché et la banalité voulue du sujet. Ils enchâssent, dans un métal précieux et tarabiscoté, des cailloux et des tessons. Ils ne veulent pas choisir les aventures rares et dignes d’être contées, ils redoutent d’embellir la vie : aussi arrivent-ils quelquefois à être ennuyeux comme elle… Cela n’empêche pas qu’ils ne soient charmants et n’aient beaucoup de talent… De plus, ce sont des gens heureux ! Je les admire, je les aime et j’en suis bassement jaloux.

— Jaloux ! pourquoi !

— Comment, pourquoi ? Ils travaillent comme des nègres, c’est vrai, comme des forçats, comme des bénédictins. Ils se créent à plaisir des difficultés insurmontables, qu’ils surmontent, et ne se donnent pas un jour de répit ; mais ils font cela à leur idée, sur les sujets qui leur plaisent, sans que rien ne les oblige ni les entrave. Ils sont indépendants et ne travaillent pas de leur art pour vivre…