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le second rang du collier

pect nouveau et pittoresque nous intéressait beaucoup.

Nous revenions les bras chargés de gargantuesques victuailles : homard et saumon marinés, jambon d’York, langues de mouton, bœuf fumé, stilton, chester, tarte à la rhubarbe, plumcake, Dundee marmelade, stout, pale ale, porto.

Henriette avait dressé le couvert et allumé des lampes. Nous nous installions et nous faisions longuement honneur au repas. Jules Gérard était quelquefois des nôtres, et M. S… presque toujours. Mon père, très en train et très gai, évoquait le souvenir du radeau de la Méduse, se comparait à Ugolin réduit, si l’heure du souper avait tardé, à dévorer ses enfants. Pour moi, qui n’avais pas la tête forte, cette bière capiteuse me grisait immédiatement. Je divaguais un peu ; puis je m’endormais d’un sommeil si profond qu’on était obligé de m’emporter dans mon lit.

Londres nous amusait beaucoup. Nous parcourions la ville en badauds, marchant lentement, le nez en l’air, ce qui paraissait surprendre extrêmement les Anglais, toujours si pressés et qui ne se faisaient pas faute de nous bousculer : ils avaient une façon de se faire place à coups de coudes, — des coudes pointus et durs, — qui m’exaspérait. Comme je m’en plaignais une fois à un aquarelliste de grand talent, ami de mon père, nommé Wyld, il me dit que la coutume en Angleterre était de