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le second rang du collier

et, dans le fossé, qui se creusait devant la palissade, tout ébouriffé d’acacias, de buissons et de fleurettes sauvages, le soleil et l’ombre variaient des effets charmants.

Aussi avions-nous pris l’habitude de faire quelquefois les « mille pas » dans la rue déserte, le long de ces fleurs et de ces verdures fraîches. Les feuillages, encore peu épais, nous permettaient de voir dans les profondeurs du parc. Nous apercevions souvent les mélancoliques pensionnaires de l’établissement, qui se promenaient, ou qui s’occupaient à jardiner. Nous plaignions beaucoup les pauvres fous, et nous trouvions surtout qu’ils avaient l’air très raisonnable.

Mon père en avait remarqué un à l’allure grave et digne, qui passait, suivi d’un domestique, et revenait souvent. Il était grand, maigre, avec quelque chose de militaire dans la carrure, la figure osseuse, la moustache et les favoris noirs ; il paraissait une cinquantaine d’années. Il nous regardait en marchant, mais d’un regard glissé de côté, sans tourner la tête. Un jour, pendant une de nos promenades, tandis que mon père était rentré un instant pour rallumer son cigare, cet homme s’approcha tout près du fossé et, par-dessus la palissade, nous lança une grosse gerbe de lilas ; puis il s’éloigna aussitôt.

Nous étions rentrées avec cette botte de fleurs, pour raconter l’aventure.