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le second rang du collier

mais, loin d’user de cette prérogative, il poussait, au contraire, la simplicité de mœurs et de costume aux plus extrêmes limites. Gustave Doré le taquinait toujours, à ce propos, mais Kratz subissait, avec la plus imperturbable patience, toutes les farces que le grand dessinateur ne se lassait pas de lui faire ; il les accueillait par un sourire fin et mystérieux, et était le premier à s’en amuser. À Neuilly, il tenait l’emploi de compère, avec un sérieux parfait et la plus profonde dissimulation, si bien que nous fûmes très longtemps avant de le découvrir.

Gustave Doré poussait le machiavélisme jusqu’à envoyer Kratz dîner à Neuilly, lui-même ne venant que le soir. En arrivant, sans prêter la moindre attention à son ami, sans échanger un mot avec lui, il organisait des expériences à la Robert-Houdin, découvrait des objets les mieux cachés, lisait les lettres fermées, devinait les pensées chuchotées loin de lui, etc… Il nous confondait et nous stupéfiait, et nous ne nous doutions pas que Kratz, qui semblait si détaché, ou si intéressé par une causerie particulière, avec une malice extraordinaire, à l’aide de mots convenus, lui disait, à haute voix, tout ce qu’il devait savoir.

Ernest Hébert venait souvent, aussi. Nous avions tous pour lui autant d’admiration que d’amitié. Chose remarquable, il était le type même de son idéal d’art, et aurait pu servir de modèle à un de