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le second rang du collier

nous rendre à Longchamp, c’était par la rivière. Une barque venait nous attendre tout près du jardin, et, sans fatigue, sans poussière, nous remontions doucement le fil de l’eau. Nous débarquions derrière les tribunes, qui sont édifiées à une centaine de pas de la berge.

D’habitude, nous ne restions guère sur les gradins encombrés ; nous n’avions aucun pari engagé, la victoire de tel ou tel cheval nous était indifférente, et cette agitation frénétique dont nous ne partagions pas l’émoi nous lassait bientôt. Nous retournions vite à notre barque, et nous prolongions, le plus possible, la promenade sur l’eau, dont mon père était toujours charmé.

Un soir, après une journée chaude, à l’heure exquise où le soleil tombe et où l’air se rafraîchit, nous nous attardions, pour ne rien perdre des jeux de la lumière, pour attendre « l’effet », comme disent les peintres.

Le batelier avait l’ordre de ne pas ramer ; le courant seul nous ramenait, tout doucement, vers Neuilly.

J’étais, moi, debout à l’avant du bateau, pour signaler les obstacles : car les autres passagers voguaient à reculons, assis dans le même sens que les rameurs. Une barque venait à notre rencontre. Ceux qui la montaient riaient et chantaient ; elle approchait assez vite. Un monsieur, vêtu avec recherche, se tenait à la pointe de l’embarcation,