Page:Gautier - Le Second Rang du Collier.djvu/251

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
243
le second rang du collier

Seul le général faisait une mine élégiaque et navrée, dont j’avais envie de rire et qui par moments me touchait. Tandis que je me reposais sur l’échelle, il s’accrocha de la main au bateau, et me dit très sérieusement :

— Si vous ne me permettez pas de demander mon pardon, je me laisse couler et je disparais.

— Pas pour longtemps : mon père se jette à l’eau et vous sauve… Épargnons-lui le rhume que cela pourrait lui causer !

— Croyez-vous à la fatalité ? Nous autres, musulmans, nous sommes fatalistes. Si vous me connaissiez mieux, vous comprendriez qu’une impulsion irrésistible seule a pu me faire commettre un acte aussi opposé à mon caractère. Avant ma raison, mon cœur a deviné, que cette minute allait bouleverser ma vie et que jamais je ne l’oublierais.

— Le mieux est pourtant de l’oublier. C’est à cette condition que je vous pardonne, au nom de l’hospitalité et de l’Orient que j’aime !

Là-dessus, je piquai une tête dans l’eau verte, et j’allai rejoindre les nageurs.

Derrière les buissons épais et des tentes improvisées, on se rhabilla dans l’île ombreuse ; et, tandis que les bonnes disposaient le couvert, on se promena, lentement, par les allées, autour des pelouses, nouvellement fauchées et bosselées de petites meules. Des corbeilles de roses embaumaient ; nous nous arrêtions pour en admirer les superbes va-