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le second rang du collier

Dardenne s’ébahissait « d’une bête à jus » dont il ne pouvait définir l’espèce. C’était un foie de veau, entier, confectionné par notre cuisinière et qui avait l’apparence d’une grosse tortue. La salade russe se renversa à moitié sur les beaux tapis ; et l’on eut beaucoup de peine à démouler la glace.

Avec le Champagne, on porta des toasts, à Théophile Gautier, au shah de Perse, à la Seine, qui prêtait ses ondes, à Rothschild, qui prêtait son île ; puis Dardenne récita, de mémoire, des vers d’Émaux et Camées. Mais Théophile Gautier l’interrompit :

— Ceci est trop connu, dit-il, permettez-moi de vous offrir quelque chose d’inédit.

Et, se tournant vers Mme  de la Grangerie, il modula ce sonnet, aujourd’hui si célèbre :


Les poètes chinois, épris des anciens rites,
Ainsi que Li-Tai-Pé quand il faisait des vers,
Mettent sur leur pupitre un pot de marguerites,
Dans leur disque montrant l’or de leurs cœurs ouverts.

La vue et le parfum de ces fleurs favorites,
Mieux que les pêchers blancs et que les saules verts,
Inspirent aux lettrés, dans les formes prescrites,
Sur un même sujet des chants toujours divers.

Une autre Marguerite, une fleur féminine,
Que dans le céladon voudrait planter la Chine,
Sourit à notre table aux regards éblouis.

Et pour la Marguerite un mandarin morose,
Vieux rimeur abruti par l’abus de la prose,
Trouve encore un bouquet de vers épanouis.