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le second rang du collier

froissements de sabres, de tintements d’éperons, de roulements de chariots, et de tous ces grondements lointains précurseurs de la révolte. À travers ce tumulte menaçant, quelques notes persistantes font pressentir le thème de la marche, et semblent chercher à prendre la tête de cette tempétueuse harmonie ; puis la marche elle-même éclate avec sa mélodie entraînante, son rhythme irrésistible, son ardeur héroïquement rebelle. Le motif galope, brandit le sabre, talonne les flancs de sa monture, se précipite sur l’ennemi en poussant des cris sauvages ; ensuite il tourne bride, comme pour reprendre du champ, il s’éloigne, l’on entend les fers de son cheval résonner plus faiblement sur le sol de la plaine ; et quand il revient, c’est avec une impétuosité, une furie, une ivresse, un délire de bravoure à exalter les natures les plus froides. Qui pourrait écouter sans être ému ce chant terrible, d’une farouche indépendance et d’un patriotisme indompté, dont la mémoire populaire a conservé le thème ? Quand il le joue, Remenyi, si placide pourtant, si ennemi de toutes singeries artistiques, entre dans un état d’exaltation étrange ; son front fume, ses yeux rayonnent, il agite l’archet avec fureur, et entraîné par son propre jeu, il suit à travers la chambre, déplaçant avec lui son auditoire, la Marche de Rakoczy le rebelle.


Ce jeune « page aux cheveux blonds », qui accompagnait Remenyi et semblait une fille déguisée, était vite devenu notre camarade. Il avait à peine dix-huit ans, et, malgré son talent déjà mûr, qui dénonçait de longues et sérieuses études, il était resté très gamin. Dès qu’il le pouvait, il nous attirait, ma sœur et moi, hors du salon, pour nous divertir un peu et gambader sans contrainte. Il savait des jeux très drôles, qu’il nous enseignait. Il y en avait un assez sauvage pour lequel il était besoin d’un kilo de farine. On la versait par terre, sur une serviette, et on en formait un