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le second rang du collier

revenait chaque jour, et « kilométrait » là de préférence. De loin, il y pensait avec regrets :


Les marronniers de la terrasse
Vont bientôt fleurir, à Saint-Jean,
La villa d’où la vue embrasse
Tant de monts bleus coiffés d’argent…


Mais ce qui l’attirait et le retenait surtout, c’était l’extrême intérêt qu’il portait à la maîtresse de la maison. Il avait pour elle une de ces passions sentimentales, respectueuses et mélancoliques, auxquelles il était sujet : en dépit de sa verve rabelaisienne, de sa truculence et de ses paradoxes, elles montraient sa véritable nature, que, par une bizarre pudeur, il masquait le plus possible.

Pour lui, Carlotta Grisi, était toujours Giselle, ou la Péri, celle qui avait incarné les moments les plus heureux de sa jeunesse. En la revoyant après une longue absence, pourtant, il avait été frappé de son aspect de petite bourgeoise rangée, dans ses simples robes de laine sombres, égayées à peine par un col de dentelle ou quelques bouts de ruban : il avouait qu’il était impossible de soupçonner la radieuse étoile d’autrefois, dans cette personne toute nouvelle, qui donnait plutôt l’idée d’une mercière retirée, après fortune faite. Mais, peu à peu, une expression fugitive, une grâce du sourire, un rayonnement des prunelles, d’un bleu nocturne, évoquaient la figure première ; il la reconstitua, la retrouva toute,